En janvier dernier, une annonce du géant informatique IMB aurait dû créer une vague d’enthousiasme à nulle autre pareille. Hors les cercles d’initiés, peu de mention, quelques rares commentaires, le tout s’étant en fait limité à la reprise, intégrale ou en partie, du communiqué annonçant l’accès, par le biais de l’infonuagique d’IBM, du « système IBM Q System One [d’une puissance de 20 qubits] présenté comme le tout premier ordinateur quantique conçu pour être utilisé par les entreprises ».
Au dire d’IBM, « les ordinateurs quantiques pourraient potentiellement, par exemple, rationaliser les systèmes aérospatiaux et militaires, calculer les facteurs de risque pour réaliser de meilleurs investissements, ou encore peut-être trouver un traitement curatif contre le cancer et d’autres maladies ».
Dans une interview parue le 27 mai 2019 dans Pour la Science, Pascale Senellart-Mardon, directrice de recherche au CNRS et chercheuse en nanophotonique au Centre de nanosciences et de nanotechnologies du CNRS et de l’université Paris-Saclay, paru dans Pour la Science 27 mai 2019, explique de la façon suivante ce qui distingue un ordinateur classique d’un ordinateur quantique.
« J’aime bien utiliser cette métaphore : rechercher la solution d’un problème revient à essayer de faire traverser un labyrinthe complexe par un personnage.
» Si c’est un ordinateur classique qui aide ce personnage, il lui fera, à chaque embranchement, essayer toutes les voies, rebrousser chemin au bout de chaque cul-de-sac, puis recommencer jusqu’à trouver la sortie. Il se peut que, par chance, le personnage trouve vite comment traverser, mais il se peut aussi qu’il meure avant que l’exploration systématique ne lui ait révélé la sortie du labyrinthe…
» Si c’est un ordinateur quantique qui assiste le personnage, il le « superposera », à chaque embranchement, à un alter ego qui explorera l’autre voie. En d’autres termes, on aura simultanément l’état représenté par le personnage allant à gauche et l’état d’un alter ego allant à droite. Résultat: en une passe, l’ordinateur quantique fait essayer en parallèle toutes les voies au personnage. Il construit ainsi un état qui superpose tous les états d’alter ego effectuant tous les parcours possibles, y compris celui qui permet de traverser. Un témoin présent à la sortie permettra alors d’extraire, parmi la multitude d’alter ego, celui qui aura traversé le labyrinthe – autrement dit la solution au problème posé ».
Comme l’explique par ailleurs un article mis en ligne en mai dernier sur le site du Commissariat à l’énergie atomique français (CEA) : « Une des propriétés de l’ordinateur quantique est sa capacité à décupler la puissance de calcul des machines classiques. Dans un ordinateur classique, l’information est stockée dans un ensemble (registre) de cases mémoires, les bits, dont la valeur est soit 0, soit 1. Un bit quantique (qubit) a, quant à lui, deux états quantiques |0> et |1>, séparés par une différence d’énergie définissant sa fréquence (fQB), et peut être à la fois dans ces deux états. Au cours d’un algorithme (succession d’opérations dites « portes logiques »), le registre de qubits se trouve dans une superposition quantique de tous ses états possibles (|00…0>, |10…0>, |11…1>, |10…1>), permettant un calcul massivement parallèle ».
Selon l’auteur de cet article, le calcul massivement parallèle, intrinsèque à l’ordinateur quantique, permet de sonder l’espace des états d’un système comportant de très nombreux paramètres. Cette caractéristique permet déjà d’identifier quatre grands domaines d’application : la chimie, l’exploration de données (data mining), l’optimisation de procédés de l’industrie 4.0, l’’intelligence artificielle.
L’utilisation d’ordinateurs quantiques en chimie permettra de « simuler, in silico, de manière exacte, la structure et le fonctionnement de grosses molécules d’intérêt pour la pharmacologie ou pour l’agronomie. Avec les plus puissants ordinateurs actuels, même les plus puissants, il est possible de simuler des petites molécules mais il est souvent nécessaire de recourir à de fortes approximations dès que la taille du système étudié augmente ».
En matière d’exploration de données, les ordinateurs quantiques accéléreront « la recherche d’une information spécifique dans une vaste base de données ».
S’agissant de l’optimisation de procédés de l’industrie 4.0, ces ordinateurs offriront la possibilité de « trouver une solution optimale dans un système complexe multiparamétrique, comme par exemple la tournée la plus rapide d’un camion de livraison ou ajuster l’offre à la demande sur un réseau électrique très décentralisé »
Enfin, « au cours de la phase d’apprentissage d’un système d’intelligence artificielle, telle qu’une reconnaissance d’images, les informations [obtenues via un ordinateur quantique] pourront être simultanément reconnues et non de façon séquentielle comme c’est le cas avec des processeurs classiques (examiner une situation, puis une autre, etc.).
Mais comme le souligne avec à-propos l’article du CEA : « La communauté scientifique bien informée sur les possibilités des technologies quantiques est encore réduite. Issue pour l’essentiel du monde académique (physique et mathématiques), elle a peu développé les voies applicatives pour le moment. Il est donc possible que de nombreuses applications insoupçonnées jusqu’à présent apparaissent dans un futur proche ».
https://www.ibm.com/ca-fr
http://www.cea.fr/
https://www.pourlascience.fr/
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