En Vedette
Sources d’énergie
Le rôle prometteur de l’ammoniac
Une option intéressante pour les industries à forte consommation d'énergie
août 13, 2024
par Pierre Deschamps
L’ammoniac, un combustible dont on ne soupçonnait pas nécessairement les capacités énergétiques, pointe son nez depuis quelques temps comme solution dans certains secteurs d’activités face à la crise climatique.
Dans une publication mise en ligne par Chem4us en 2020, on notait déjà que : « Avec une production industrielle efficace, en constante amélioration, et avec une réflexion de plus en plus ancrée sur l’usage de ressources renouvelables pour diminuer l’empreinte carbone du procédé, l’ammoniac est une molécule qui se profile de plus en plus comme un enjeu stratégique dans le secteur de l’énergie soit directement liquéfié pour des applications comme carburant dans des moteurs à combustion interne, soit comme vecteur permettant le stockage d’hydrogène. »
Qui plus est, précisait-on à l’époque : « L’ammoniac liquide peut ainsi être utilisé comme carburant pour le transport mais aussi comme combustible pour le chauffage (domestique ou industriel). L’ammoniac peut être fractionné par générer de l’hydrogène applicable dans des piles à combustible et autres applications ciblées en lien avec le transport ou la production de chaleur et d’électricité. »
Des perspectives intéressantes
À la suite d’un séminaire organisé en 2021 par le CNRS (France), les organisateurs avaient publié un texte qui précisait certains des avantages auxquels donnerait lieu l’ammoniac comme vecteur d’énergie : « son utilisation comme combustible permet, comme l’hydrogène, d’éviter l’émission de CO2, de CO ou bien de particules de suies, mais avec l’avantage d’une production et d’une manipulation plus aisées et plus économiques ».
En outre, on y précisait que l’ammoniac est « un candidat attrayant pour résoudre les problématiques de stockage, de transport et de distribution, depuis la récupération d’une énergie durable jusqu’aux utilisations mobiles et stationnaires de l’énergie à de multiples échelles : des micropropulseurs aux transports maritimes, des systèmes de réfrigération aux systèmes de génération électrique, sans oublier l’agriculture, domaine dans lequel il est aujourd’hui très largement utilisé. Cependant, de nombreux verrous scientifiques et technologiques sont encore à lever, que ce soit dans les domaines de la détection, la production, le stockage, l’usage et l’impact environnemental ».
Des résultats intéressants
En novembre 2023, un publication du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) annonçait que, en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) produites par des moteurs diesel de grosse cylindrée, des scientifiques de l’organisme avaient mis au point des stratégies d’utilisation de l’ammoniac, obtenant ainsi des réductions importantes de GES lors d’essais en laboratoire.
Ces travaux ouvrent « de nouvelles voies en explorant le potentiel de l’ammoniac comme carburant sans carbone pour les moteurs diesel dans ces secteurs où il est difficile de décarboner les sources d’énergie ».
L’information publié à cette époque par le CNRC précisait que les scientifiques en question avaient étudié les performances d’un moteur diesel de grosse cylindrée fonctionnant avec un mélange ammoniac-diesel.
À cette fin, ils ont eu recours à « un modèle informatique de dynamique des fluides validé par des données provenant d’expériences menées dans les installations d’essai de moteurs à combustion propre du CNRC à Ottawa ».
Ce qui leur permit d’examiner « les effets de la variation du rapport ammoniac/diesel dans le mélange de carburant et du réglage du moment de l’injection du diesel. Les scientifiques ont également étudié les répercussions de la division de l’injection de diesel en deux impulsions distinctes pendant le cycle de puissance du moteur. En optimisant ces paramètres, ils ont pu obtenir un rendement proche de celui du diesel tout en réduisant les émissions globales de gaz à effet de serre ».
Ces travaux ont permis de déterminer les mécanismes fondamentaux et les causes des problèmes potentiels liés à la combustion de l’ammoniac et de formuler « des stratégies pour résoudre ces problèmes, notamment en améliorant le mélange pendant la combustion, en renforçant la propagation de la flamme pour réduire les fuites d’ammoniac et en réduisant les émissions de NOx et de N2O ».
Ce qui donné lieu au résultat appréciable : environ « 70 % du diesel a été remplacé par de l’ammoniac, avec la possibilité de réduire les émissions globales de gaz à effet de serre de 50 % à 60 % ».
Des recherches prometteuses
Dans le deuxième numéro de 2024 du magazine « Fraunhofer – The magazine for people shaping the future » (une publication du Fraunhofer-Gesellschaft, un institut allemand situé à Munich), un article relate les travaux menés sur l’ammoniac par l’équipe de Gunther Kolb, chef de la section Énergie et directeur adjoint de l’institut Fraunhofer.
Comme le mentionne Gunther Kolb, « contrairement à d’autres combustibles, l’ammoniac ne génère pas d’émissions de carbone lors de sa combustion, mais seulement de l’eau et de l’azote. Ce qui signifie qu’il peut être une option intéressante pour les industries à forte consommation d’énergie comme le transport maritime ou le secteur de l’acier. L’utilisation de piles à combustible ou de moteurs à combustion à l’ammoniac pourrait rendre les navires plus écologiques »
Par ailleurs, « l’ammoniac est l’un des candidats les plus prometteurs lorsqu’il s’agit de résoudre le problème du transport de l’hydrogène, explique Achim Schaadt, chef du département Produits de synthèse durable, au Fraunhofer. L’hydrogène pourrait ainsi « être produit dans des régions éloignées qui bénéficient d’un ensoleillement et d’un vent importants, puis transporté sous forme d’ammoniac. L’infrastructure, l’expérience et l’expertise nécessaires avec l’ammoniac qui seraient nécessaires pour sont déjà en place, puisque l’ammoniac est déjà produit et transporté à grande échelle ».
Cependant, avant que l’ammoniac et l’hydrogène soient combinés comme source d’énergie, « la production, le transport et le stockage doivent être rendus plus efficaces, les coûts doivent être réduits et la sécurité doit être améliorée, affirme pour sa part Michael Bortz, directeur de l’Optimisation – Procédés techniques, à l’Institut Fraunhofer.
« L’ammoniac reste un gaz très toxique et potentiellement mortel, rappelle Michael Bortz. L’organisation environnementale allemande NABU et l’Öko-Institut [un institut allemand de recherche sur l’environnement] ont émis des réserves et mis en garde contre l’utilisation de l’ammoniac en tant que carburant vert, affirmant que le gaz ne devrait être utilisé que si l’oxyde nitreux généré lors de la production, du transport et de la combustion est éliminé, par exemple grâce à des systèmes de purification spéciaux. Les émissions d’oxyde d’azote, qui sont nocives pour la santé, devront également être prises en compte et maîtrisées ».
Force est tout de même de constater que les travaux sur l’ammoniac laissent tout de même penser que voilà une filière énergétique à ne pas ignorer.
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